La Pentecôte 2021 en images

"Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint, qui descendra sur vous..."

Les Actes des Apôtres (1, 12-14) nous disent que, après l’Ascension, "Alors, du mont des Oliviers, ils s’en retournèrent à Jérusalem (...). Rentrés en ville, ils montèrent à la chambre haute où ils se tenaient habituellement. (...) Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères ". Nous savons donc que les disciples, environ cent vingt personnes, parmi lesquelles il y avait des femmes, étaient réunis à Jérusalem et qu’ils priaient. Puis ils choisissent un nouvel apôtre pour remplacer Judas ; ce sera Matthias.
Que se passe-t-il ensuite ? N’oublions pas que, dans ces mêmes Actes (1, 8), Jésus leur avait dit :" Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint, qui descendra sur vous."

La Pentecôte, Le Greco (1597-1600)
H : 2,75m ; L:1,27m
Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid

Né en 1541 en Crète (et mort à Tolède en 1614) et d’abord formé comme créateur d’icônes, Doménikos Théotokópoulos, dit Le Greco, forge très lentement le style qui caractérise son œuvre espagnole. Il fait un séjour à Venise capital pour sa formation entre 1568 et 1570. En Italie, il fait la connaissance des grands artistes de la Renaissance : Michel-Ange, dont il apprécie le traitement des corps ; Le Tintoret, dont il admire les tons forts (il utilisera, comme lui, des figurines de cire pour construire ses compositions picturales) ; et Le Titien , pour lequel il manifeste une véritable vénération. À Rome, il découvre un milieu d’humanistes, qu’il retrouvera à Tolède. Dans cette ville d’Espagne, déjà sensibilisée au maniérisme italien par le décor sculpté d’Alonso Berruguete dans le chœur de la cathédrale, Le Greco peut librement développer sa propre manière.

En 1596, le Conseil Royal de Castille commande au Greco un retable pour le maître-autel de l’église du collège madrilène des Augustins dédié à la Vierge de l’Incarnation. Ce séminaire est aussi connu sous le nom de collège Doña María de Aragón qui en a parrainé la fondation. L’artiste s’engage à livrer le retable au plus tard à Noël 1599, délai qu’il dépassera de sept mois.
Qu’est-ce qu’un retable ? Le mot vient du latin "retro tabula (altaris)" qui signifie "table en arrière de l’autel ". À l’origine, un retable est un simple meuble de bois placé derrière l’autel et destiné à recevoir des objets liturgiques. La dimension décorative liée à sa fonction religieuse se développe à partir du Moyen-Age, mais c’est aux XVIème et XVIIème siècles que le retable prend peu à peu de l’importance et devient une véritable œuvre d’art.
L’atelier du Greco est à même de réaliser la totalité des éléments d’architecture, de sculptures et de peintures qui composent le retable, ce qui n’est alors pas le cas de tous les ateliers d’artistes. L’exécution d’un retable nécessite en effet la participation de plusieurs corps de métiers (ébéniste, doreur, menuisier, peintre et sculpteur). Celui-ci est monumental. Il comporte sept grands tableaux, sans compter le grand support sculpté. Et Le Greco a signé les sept toiles. Sa signature sur chacune d’elles garantit sa réelle participation.
En 1808, Joseph Bonaparte, alors roi d’Espagne, décrète la réduction du nombre de couvents dans le cadre d’une réforme des ordres monastiques. Le séminaire des Augustins de Madrid ferme et le bâtiment est réaffecté au Parlement. Le retable est alors démonté et, suite à plusieurs déménagements, les éléments d’architecture et de sculptures sont perdus. Cinq peintures sont confiées au musée du Prado à Madrid, la sixième est vendue plusieurs fois avant d’intégrer le Musée National d’Art de Roumanie à Bucarest, la septième est perdue.

Le grand tableau de la Pentecôte se situe à droite de la Crucifixion, dans la partie centrale du niveau supérieur du retable ; à gauche, la Résurrection. Au niveau inférieur, figurent de gauche à droite l’Adoration des bergers (actuellement à Bucarest), l’Annonciation et, au-dessous de la Pentecôte, le Baptême du Christ, autre manifestation décisive de l’Esprit Saint. Les scènes se répondent et font dialoguer les moments essentiels du mystère de la foi. Marie et l’Esprit Saint sont là, de la conception de Jésus à l’enfantement de l’Eglise. À l’exception de la Pentecôte, aucun des sujets du retable n’était nouveau pour Le Greco.
Le tableau représente la descente du Saint Esprit sur un groupe de disciples de Jésus.
Le mot "Pentecôte" vient du grec ancien Pentécostê hêmera qui signifie "cinquantième jour". C’est une fête chrétienne qui célèbre l’effusion du Saint Esprit (troisième personne de la Trinité divine) le cinquantième jour à partir de Pâques sur un groupe de disciples de Jésus, dont les douze apôtres, réunis au Cénacle, au sommet du mont Sion. Cet épisode est relaté dans les Actes des Apôtres 2, 1-4. Le don de l’Esprit est le point d’orgue du mystère pascal. Le christianisme considère la Pentecôte comme le point de départ de sa mission d’évangélisation : "Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre" (Ac 1,18). Cette fête, qui clôt le temps pascal et dont la célébration est attestée localement à partir du IVème siècle, puise son origine dans la fête juive de Chavouot, fête des Semaines en hébreu (50 jours constituent sept semaines). Fête aussi du don de la loi et de l’Alliance.

"Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup, il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer" (Ac 2, 1-4).
Mais comment rendre en peinture les images, d’abord auditives (un bruit, un vent), puis visuelles (des langues de feu) ?

Observons d’abord la composition de ce tableau tout en hauteur, où la perspective n’est pas marquée. Pas de paysage ; les références spatiales sont supprimées ; les personnages occupent l’ensemble de la toile. La scène est serrée dans un espace clos et la composition baigne dans une lumière spectrale qui révèle des personnages très expressifs. En plaçant les protagonistes sur des marches d’escalier (qui évoquent la chambre haute) à peine suggérées, Le Greco permet de bien les individualiser tout en soulignant la verticalité du format qui conduit le regard vers la colombe immaculée, symbole de l’Esprit Saint mis en valeur par un vaste espace vide dans l’arrondi supérieur de la toile, simplement traversé de rayons. La colombe plane dans une nuée jaune citron qui repousse l’ombre des origines et irradie une lumière qui illumine toute la scène qui baigne dans un calme tranchant avec l’agitation des registres inférieurs, agitation spirituelle qui précède la grâce.

Le maniérisme dont fait preuve Le Greco rompt ici avec la tradition de la pleine lumière de la Renaissance : la scène se déroule en nocturne, le fond presque noir du tableau laissant éclater les valeurs chromatiques des vêtements des personnages.

Au centre de la composition, vêtue d’une éclatante robe rose carmin, Marie se différencie par son calme. Elle a déjà reçu l’Esprit lors de l’Annonciation et elle en connaît l’extraordinaire fécondité. Seule à joindre les mains, elle rend grâce à Dieu pour le don reçu et semble prier pour ceux qui accueillent le don divin. La position de son corps évoque une mandorle, symbole de sa gloire divine. La flamme au-dessus de sa tête semble vaciller sous le souffle de l’Esprit. Souffle qui agite aussi les vêtements des personnages qui l’entourent et leur confère des formes serpentines qui mettent en valeur un élan vertical, indice d’un élan spirituel. Le jeu des drapés évoque presque des flammes. Dans les représentations anciennes de la Pentecôte, sur les icônes et les œuvres de l’époque médiévale, la place centrale était laissée vide. La Vierge Marie l’occupera à partir du XVème siècle, comme figure de l’Eglise.

Au registre inférieur, deux figures sculpturales nous tournent le dos, probablement Pierre, à droite, vêtu de bleu et de jaune orangé, et Jean, à gauche, vêtu de vert et de rouge comme lors de la Crucifixion. La couleur rouge a son écho dans le rose carmin de la robe de Marie et le bleu dans son manteau. À eux trois, ils structurent le groupe. Nous tournant le dos, Pierre et Jean sont dans la même position que le fidèle contemplant le retable, ils lui montrent la juste manière d’accueillir l’Esprit Saint. Ils s’exposent de tout leur être, comme on s’expose au soleil pour s’y réchauffer.
Au registre du milieu, onze hommes entourent la Vierge. Des flammes, comme des langues de feu, vacillent au-dessus de leur tête. Il faut se rappeler que, en grec, le mot "langue" désigne à la fois l’organe et le langage. Chez Luc, quand il y a Esprit Saint, la parole surgit. Et justement les disciples reçoivent le don de parler les langues que les autres entendent. La plupart de ces hommes dirigent leurs regards vers la colombe de l’Esprit Saint. Tous réagissent différemment, entre surprise, stupeur, interrogation et reconnaissance ou louange. Le Greco affirme ici sa propre manière, fondée sur une abstraction des formes et de l’espace pour privilégier la couleur, la lumière et, surtout, le sentiment traduit par le geste (il faut remarquer la façon dont il traite les bras et les mains), le canon maniériste de l’élongation des corps renforcé par une contre-plongée qui donne la monumentalité. On est bien loin des canons de la beauté classique. À droite, un homme âgé nous regarde, nous faisant entrer dans le tableau. Ce pourrait être l’artiste lui-même.
Tout près de Marie, une femme ne regarde pas le ciel : elle semble rentrée en elle-même. Le Greco l’a représentée la tête couverte d’une mantille blanche, très espagnole.

Les spectateurs que nous sommes ont le droit de trouver étonnante, voire extravagante, cette Pentecôte peinte par Le Greco. Jouant à l’extrême de la distorsion des figures et de l’espace, l’artiste bouleverse les conventions artistiques de son époque. Les formes et les visages sont simplifiés, les touches marquées à longs coups de pinceau. Sa palette contrastée et ses puissantes constructions anatomiques définissent le style du Greco dans sa dernière période.
Nous constatons surtout que l’Eglise catholique, qui était le commanditaire direct du retable, donnait à la peinture une valeur pédagogique tout en accordant en retour une grande liberté stylistique au peintre (à l’inverse du roi Philippe II qui lui avait commandé pour l’Escurial une peinture sur le thème du martyre de Saint Maurice ; mais la toile n’ayant pas plu au roi, les sphères de la cour lui ont été fermées). Le Greco a su profiter de cette marge de liberté pour inventer son style et promouvoir la singularité de sa peinture tout en servant l’Eglise catholique.
Dominé par la colombe, le tableau exalte la puissance de l’Esprit Saint venu emplir la Vierge et les disciples. Esprit Saint qui transfigure ceux qui le reçoivent, dont l’aspect change visiblement aux yeux de l’observateur extérieur. Leur vie ne sera plus jamais la même après cet événement fondateur de l’Eglise : désormais ils sont parés pour annoncer la nouvelle de la Résurrection du Christ au monde entier.
Si l’Esprit Saint est assurément difficile à connaître, il est encore plus difficile à représenter et l’allégorie de la colombe n’en paraît qu’une forme bien conventionnelle. Mais le récit que les Actes des Apôtres font de la Pentecôte donne aux peintres l’occasion de montrer quelque chose de sa force radicale, de la manière dont il vient toucher nos cœurs et nos corps et nous transformer en notre humanité. Dans ce tableau particulièrement, l’énergie marquante de la composition, la force des coloris et l’étrangeté du dessin donnent à l’ensemble une puissance saisissante qui répond au caractère délirant, ou miraculeux, de l’histoire. De Saint Pierre au premier plan, à Marie au centre des disciples au second plan, c’est toute une série de visages, d’attitudes, de gestes expressifs qui révèlent l’action de l’Esprit Saint parmi nous.

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