Le temps de Pâques 2021 en images

Pâques à travers deux œuvres commentées : l’une de l’art byzantin, l’autre de l’art occidental.

Pâques est la fête la plus importante du christianisme. Elle commémore la Résurrection du Christ. Cependant elle n’est pas célébrée à la même date par tous les chrétiens. Ainsi, les Églises occidentales, ayant adopté à la fois la réforme grégorienne du calendrier et une correction concomitante pour le cycle lunaire, ont un jour de célébration différent de celui des Églises orthodoxes.
Et ce n’est pas la seule différence. La peinture religieuse nous offre une multitude de représentations de cet événement, de façon un peu paradoxale puisque personne n’a été témoin du moment même de la Résurrection et que personne n’a pu le décrire. Aussi n’est-il pas étonnant de constater que l’art occidental et l’art byzantin divergent dans leur manière d’interpréter et de peindre cette Résurrection du Christ. Les deux fresques que le groupe Fra Angelico nous propose d’observer en sont un exemple.

1. La Descente du Christ aux enfers (anonyme)

L’instant même de la Résurrection du Christ demeure un mystère ; il renvoie à quelque chose d’inaccessible à la raison humaine, ne pouvant être contemplé que par les yeux de la foi. Les Évangiles gardent le silence sur l’acte même de la résurrection. C’est pourquoi l’Eglise orthodoxe va retenir deux représentations qui, chacune à sa manière, expriment ce grand mystère. La première, Les Myrrhophores au tombeau, s’appuie sur les Évangiles de Marc et de Luc.
L’autre représentation de Pâques retenue par l’Eglise orthodoxe a pour sujet la première action accomplie par Jésus pendant les trois jours où son corps a été enfermé dans le tombeau, après sa mort sur La Croix. C’est La Descente du Christ aux enfers.
Quel est le motif pour lequel on a privilégié, dans le monde byzantin, la représentation de la descente aux enfers par rapport à celle du Christ triomphant qui sort du sépulcre ? Le choix a certainement été dicté par la mise en évidence de la victoire sur la mort et du rachat du péché : le Christ, nouvel Adam, descend aux enfers pour libérer les âmes des justes et, avec elles, le genre humain. "En effet, selon la promesse, le Roi de Gloire, revêtu de la pourpre de sa chair, a visité les prisonniers et a proclamé la libération de ceux qui gisaient dans l’ombre" (Jean Damascène, Père de l’Eglise).

Christ est ressuscité des morts ;
Par la mort il a vaincu la mort
Et à ceux qui gisaient dans les sépulcres
Il a fait don de la vie.

Cette hymne pascale est à l’infini répétée entre Pâques et l’Ascension par les orthodoxes.
Nous sommes ici devant un mystère d’une grande portée théologique, entièrement centré sur l’action salvifique du Christ libérateur de l’humanité prisonnière de la mort depuis la chute d’Adam. Ce point important de la foi chrétienne fait partie du Symbole des Apôtres — ou Credo — récité dans l’Eglise catholique romaine et mentionné par l’Eglise orthodoxe au cours de la Divine Liturgie de saint Basile le Grand (Père de l’Eglise).

C’est le Samedi Saint, le jour du silence et de l’attente. Dans la conception byzantine, les textes ont été conçus pour être lus ou chantés dans un cadre visant à créer l’atmosphère juste, faite de symboles, d’harmonies musicales, de gestuelles, de parfums et d’encens. En d’autres termes, dans une atmosphère et dans une dimension où les cinq sens sont impliqués pour être sanctifiés. "Purifions nos corps et nous contemplerons, avec la lumière inaccessible de la Résurrection, le Christ resplendissant" (Jean Damascène, deuxième hymne de la première ode du canon de la Pâque).
C’est une nuit qui vit dans l’attente de l’aube. L’église est plongée dans les ténèbres. Il n’y a plus que la faible lueur de la lampe toujours allumée dans le sanctuaire (partie de l’église où se trouve l’autel, inaccessible aux fidèles et séparée de la nef par l’iconostase). Après toute la liturgie (les lectures, les chants, la procession et les intimations du célébrant), celui-ci pousse les battants de la porte de l’église et, dans l’éclat de la lumière, dans la joie de la Résurrection, les fidèles peuvent alors contempler l’icône de la Descente du Seigneur aux enfers.

Ici, il s’agit d’une fresque monumentale du début du XIVème siècle qui couvre toute la coupole du bêma (tribune disposée près d’une abside, réservée aux prêtres) dans le parecclésion (chapelle) de l’église de la Chora.

L’ancien monastère de Saint-Sauveur in Chora, construit au Vème siècle à Istanbul, a subi d’importantes dégradations au cours des siècles. Lorsque les Byzantins récupèrent Byzance en 1261, la ville a perdu une grande partie de ses richesses. Le monastère de Chora est en ruines. C’est alors qu’apparaît Théodore Métochite. Après avoir gagné la confiance de l’empereur, Métochite connaît une formidable ascension et devient peu à peu le second personnage de l’Empire. Il veut restaurer le monastère. Entre les années 1302 et 1320, il dote l’église de magnifiques mosaïques et de fresques. Il ne manque d’ailleurs pas de se faire représenter, offrant au Christ la maquette de l’église.

La fresque (peinture faite avec des pigments minéraux délayés dans de l’eau de chaux sur un mur fraîchement enduit, "a fresco"), dont le nom grec "Anastasis" signifie "relèvement", dépeint parfaitement le moment où le Christ délivre Adam et Ève du lourd sommeil de la mort causé par le péché, évoquant la puissance du Seigneur qui est capable de sauver ceux qui sont venus avant lui.

Le Christ est représenté au centre. Ses vêtements sont "plus blancs que neige", comme ceux qu’il porte lors de la Transfiguration. Le tissu volette autour de son corps, sous son bras gauche, rendant ainsi le sens du mouvement, la descente. Il est entouré d’une mandorle (gloire ovale, en forme d’amande) bleue étoilée, signe de sa gloire divine. D’un puissant mouvement, il saisit les poignets d’Adam et d’Eve agenouillés et les arrache à leurs tombeaux. Le grand hymnographe Romanos le Mélode met ces mots dans la bouche du Seigneur : "Venez, Adam avec Ève, venez à moi maintenant, sans crainte des dettes auxquelles il vous faudrait faire face, car tout a été soldé par moi, par moi qui suis la vie et la résurrection." Dès l’instant où le regard du Christ rejoint celui d’Adam, il fait de celui-ci une créature nouvelle libérée de la mort.
Ève est vêtue de rouge. Le rouge symbolise la chair, l’humanité. Sa main gauche est couverte en signe d’adoration.

Derrière Adam et Ève se tiennent les justes et les prophètes qui ont attendu la résurrection dans la foi et l’espérance. À droite, un grand vieillard aux cheveux longs, Moïse (parfois représenté portant les Tables de la Loi), témoin de la première Pâque et de la première Alliance. Il précède un groupe dans lequel on reconnaît Job, Jonas, Isaïe et Samuel. Un jeune homme se détache du groupe, habillé d’une tunique verte et tenant un bâton pastoral : le berger Abel, le second fils d’Adam et d’Eve. On ne peut qu’admirer l’expressivité des visages, la finesse des traits et des cheveux, la position diverse des mains, les couleurs des vêtements...

À gauche, derrière Adam, Jean-Baptiste désigne de sa main le Christ ressuscité tout en tournant son visage vers ses compagnons. Car le prophète, après avoir annoncé la venue du Sauveur sur la terre, a poursuivi sa mission auprès de tous les défunts des temps passés, comme le chante le livre liturgique byzantin des Ménées : "Comme flambeau tu précédas la Clarté, comme un ange tu devanças l’Envoyé, en prophète tu révélas l’Agneau de Dieu, en martyr tu fus décapité par le glaive afin qu’aux morts de l’Hadès tu puisses annoncer la venue du Christ." À côté de lui se tiennent les rois David et Salomon, ancêtres du Christ, le prophète Daniel...

L’arrière-plan de la scène est constitué d’un paysage de rochers dont les formes se découpent sur un espace sombre qui symbolise les enfers, le séjour des morts (Hadès en grec), et s’écartent pour laisser passer le Christ victorieux. La lumière qui émane de lui les éclaire en soulignant la profondeur de l’anfractuosité, les abysses. Caverne noire, obscure comme la grotte de Béthléem sur l’icône crétoise de la Nativité .
En bas, aux pieds de Jésus, les lourdes portes des enfers sont fracassées par la puissante irruption du Christ dans ce domaine clos. Elles condamnaient jusque-là ce lieu sombre et inhospitalier, semblable au ventre du poisson qui engloutit Jonas et d’où le prophète adressa cette prière à Dieu : "J’étais descendu en un pays dont les verrous étaient tirés sur moi pour toujours. Mais de la fosse tu as fait remonter ma vie" (Jon. 2,7). Entre les deux battants des portes, gît Hadès, ligoté. On voit autour une multitude de serrures, de gonds et de clous répandus dans l’espace sombre des enfers. Toutes ces pièces de fixation sont désormais inutiles car les portes de l’Hadès ne seront plus jamais fermées. Au moment de sa Résurrection, le Christ, resplendissant de lumière, a illuminé ce lieu souterrain.

"De lumière, maintenant, est rempli tout l’univers au ciel, sur terre et aux enfers", chante l’Eglise byzantine pendant la nuit pascale.
C’est un nouvel espace qui s’ouvre, celui du Royaume de Dieu, dans lequel ne comptent ni la mort ni le péché, mais seulement l’amour de Dieu qui, à l’image de son Fils, conduit les hommes de la mort à la vie.

2. La Résurrection du Christ, de Piero della Francesca.

Fresque. Peinte entre 1464 et 1465.
L : 2m ; H : 2,25m
Museo Civico di Sansepolcro.

C’est pour la Residenza où se réunissaient les Conservatori, les plus importants magistrats de Borgo San Sepolcro, en Toscane, que Piero della Francesca peint cette Résurrection. Elle figure toujours sur le lieu même de sa création, devenu musée.
Le sujet est inspiré de l’Evangile selon saint Matthieu (Mt 28, 2-7). Jésus, après sa mort sur La Croix et son ensevelissement, est vu sortant de son tombeau. Des soldats endormis sont à demi allongés devant.
L’action est encadrée. Les colonnes cannelées de part et d’autre et l’architrave posée sur les chapiteaux de l’une et de l’autre, et dont l’épaisseur est visible, mettent en place une loggia au-delà de laquelle se dresse le Christ ; un espace composé par une perspective en contre-plongée qui exalte encore la victoire remportée sur la mort. Le cadre peint continue le support architectural des moulures et assure la transition entre l’espace mural et l’espace pictural.
Durant le Quattrocento, on a le souci de la durée de l’œuvre d’art. Le fait de peindre sur les murs s’inscrit dans un souci de la durée. En Italie, la peinture murale était considérée comme la plus belle qui soit car elle se caractérise par une luminosité très particulière qu’ aucun autre support ne peut rendre. Ses pigments, très liquides, s’interpénètrent avec le plâtre et parviennent à libérer une lumière intense. Piero della Francesca utilisait des couleurs pures, très lumineuses.

Cette fresque a traversé miraculeusement le temps, sortant indemne de la seconde guerre mondiale grâce à un officier américain qui s’est opposé au bombardement de la ville lors de la campagne d’Italie. Mais récemment, pour la sauver, une restauration s’est imposée, qui a duré trois ans, de 2015 à 2018. Cette restauration a permis de découvrir deux édifices et une vraie ville dans le paysage à l’arrière-plan à gauche, celle de Borgo San Sepolcro, ce qui montre l’attachement du peintre à la ville où il est né et où il est mort, alors que sa notoriété était déjà établie. Autre découverte : celle des bourgeons sur les deux arbres de gauche, interprétés autrefois comme un symbole de la mort. Cette découverte des bourgeons au sommet des branches a donc changé l’interprétation de l’iconographie du paysage peint. Dans une lecture de gauche à droite, il s’agirait davantage de la vie en train de renaître vers une vie pleine de promesse, symbolisée par la frondaison verdoyante. Il y a donc un avant, associé au temps d’avant la Résurrection, et un après, situé après la Résurrection, autour de la charnière du corps du Christ : l’humanité est concernée par la Résurrection et en attend aussi son salut.

La composition de la scène peinte se pose en profondeur sur trois plans : le paysage, au fond, le Christ sortant du tombeau au milieu, les soldats endormis au premier plan. De plus, la composition est pyramidale avec, à la base, l’alignement des soldats endormis, et, au sommet, le Christ debout.
Le jeu entre horizontalité et verticalité parcourt toute la fresque : les colonnes et leurs cannelures, les arbres, la hampe de la bannière sont autant d’éléments qui accentuent la verticalité, l’horizontalité étant marquée par les lignes du tombeau, la position linéaire des gardes et les nuages dont la forme plate et allongée peut étonner mais rappelle l’atmosphère météorologique qui peut régner sur la Toscane.

Au centre de la composition, le Christ debout, sortant du tombeau, vêtu seulement de son linceul. Il faut admirer le geste merveilleux du Christ qui ramène de la main gauche son vêtement d’un très beau rose et trace des plis. Le drapé très dynamique de ce vêtement manifeste aussi la vie qui palpite. Le Christ tient de la main droite la hampe d’une bannière blanche à croix rouge (celle des Croisés), l’étendard de sa victoire. Il regarde le spectateur de face avec une très forte insistance, regard qui implique le spectateur dans ce qui se passe dans la peinture, et celui-ci se sent interpellé par le Christ.
Sur le très beau corps du Christ qui exprime la force, et dont la teinte de la chair est très délicatement rendue, on voit néanmoins de manière très évidente les stigmates laissés par le supplice de La Croix. Et la plaie sur le côté, produite par la lance d’un soldat romain est même représentée en train de saigner : des gouttes de sang s’écoulent, comme si le Christ n’en finissait plus de saigner. Si le sang coule, c’est que le cœur bat et que ce corps est vivant. Et en même temps, il s’agit de représenter un corps vivant, qui a triomphé de la mort, donc. Le peintre ne veut pas, nous ne voulons pas effacer les traces du supplice parce que la Résurrection n’annule pas le supplice du Christ ; son corps glorieux doit conserver les traces de sa mort ignominieuse sur La Croix et en même temps transcende la mort.

Une des particularités du tombeau d’où surgit le Christ est qu’il semble être représenté dans une facialité absolue, de sorte que le spectateur ne voit rien ni des côtés du tombeau ni surtout de l’intérieur. C’est un choix particulier à Piero della Francesca, contrairement à d’autres peintres. Ce qui est saisissant dans ce choix, c’est le fait d’avoir placé le Christ au-dessus d’une ligne horizontale qui coïncide avec l’arête supérieure du tombeau. En conséquence, la ligne sur laquelle se trouve posé le pied du Christ marque une frontière : il s’agit de montrer que le Christ à la fois ressuscite dans ce monde et à la fois ce corps qui ressuscite appartient déjà à l’autre monde. Il est d’une nature divine qui fait qu’il échappe à l’emprise de la mort mais aussi à l’emprise humaine.

La Résurrection du Christ de Piero della Francesca est une œuvre très particulière. Elle a un véritable pouvoir d’attraction sur le spectateur. Attraction véritablement métaphysique, très abstraite, que chacun ressent en son for intérieur.
Rien dans les Évangiles sur le moment précis de la Résurrection. Aucun témoin. Toute la difficulté, pour les chrétiens, est donc de croire sans voir. L’œuvre de Piero della Francesca donne à voir quelque chose que les hommes, y compris les contemporains du Christ, n’ont pas vu. Elle met en scène cette tension entre le "voir" et le "croire". Les gardes sont endormis au pied du tombeau. L’un d’eux a posé son bouclier où sont écrites les premières lettres de la formule latine SPQR (Senatus PopulusQue Romanus = le Sénat et le Peuple Romain). Il s’agit donc bien des soldats romains chargés de garder le tombeau de Jésus. Ils ne voient pas la Résurrection du Christ. Dans certaines peintures, les soldats ont les yeux ouverts.

Mais là, le peintre a fait le choix de faire dormir les quatre soldats. Ils sont dans la situation finalement des chrétiens de leur temps, c’est-à-dire qu’ils sont dans la situation de croire mais sans voir et il les a disposés de telle sorte que le spectateur les voit dans des attitudes différentes les uns des autres : l’un de profil droit, un autre de face, le troisième de profil gauche et le dernier de profil perdu. À gauche, du côté de l’arbre bourgeonnant, un soldat qui cache son visage dans ses mains ; celui qui est de face dort profondément, tournant le dos au Christ ; le troisième, les yeux fermés, s’appuie sur sa lance de sorte que celle-ci forme un "V" avec la hampe de la bannière et encadre ainsi le Christ ; à l’extrême droite, un soldat est représenté dans une posture particulière : à la façon dont il est allongé, son visage est tourné vers le Christ, de sorte que, s’il ouvrait les yeux, il aurait la possibilité de voir le Christ et ce personnage représente l’idée d’une espérance liée à la Résurrection, puisque les soldats représentent aussi l’humanité, une humanité pécheresse mais potentiellement rachetée par le Christ, et tout dépend de l’attitude que l’on a vis-à-vis de cette Résurrection. Soit on accepte d’y croire, soit on refuse, et les soldats représentent autant de possibilités. Donc il s’agit de croire sans voir.
Et la peinture religieuse joue ce rôle : elle doit inciter le spectateur à croire sans voir Dieu dans son essence ; elle est là aussi pour pallier en quelque sorte à cette faiblesse et aider finalement les fidèles à continuer de croire sans voir. La place que Piero della Francesca attribue à ces soldats dans la fresque n’est pas innocente. D’ailleurs, ils sont au premier plan, sous nos yeux, peints en raccourci, les rendant plus imposants.

Le groupe Fra Angelico
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Père Thierry Vernet © Alice Papin

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